La fraude à la RATP : un des secrets les mieux gardés de la République

Écrit par Contribuables Associés
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L’essayiste Jean-Paul Gourévitch, auteur de plusieurs études pour Contribuables Associés, se penche pour Les Dossiers du Contribuable sur le coût de la fraude dans les transports.

 

Ce texte rédigé par Jean-Paul Gourévitch est un extrait issu de « La France de la fraude », numéro de juin/juillet 2013 des Dossiers du Contribuable. Vous pouvez télécharger gratuitement ce numéro.

La confusion des chiffres

Selon le site Capital.fr, la fraude, les agressions et le vandalisme coûtent chaque année plus de deux milliards d’euros à la SNCF et aux compagnies de transports publics. Selon la RATP, le taux de fraude sur son réseau était, en 2008, de 3 % dans le métro et le RER et de 9 % dans les bus. Claude-Marie Vadrot dans le numéro du 17 janvier 2011 du magazine Politis, qui dit tenir ses informations des élus Verts de Paris et de la Région Ile-de-France et qui milite pour la gratuité des transports, donne des chiffres très différents : « Une fraude qui atteint 80 % pour une partie des bus de la région parisienne et 30 % dans le métro parisien ».

Alors, qui peut-on croire ?

La SNCF lutte contre la fraude

La SNCF reconnaît que 10 à 20 % de ses recettes lui échappent. Une étude commandée par le comité d’entreprise des cheminots PACA au cabinet Transversales indique qu’un voyageur sur cinq de cette région est en situation irrégulière (contre environ 11 % pour la moyenne nationale) et que seuls 15 % des PV (8 % selon d’autres estimations) donnent lieu à un recouvrement. Soit une perte de plus de 20 millions d’euros.

Malgré la tenue d’« assises contre la fraude » et les primes ou cadeaux versés aux contrôleurs dans le cadre de « challenges anti-fraude », l’entreprise admet qu’elle n’est pas outillée en cas d’affluence importante et de trajets courts pour lutter contre une fraude très organisée. Le guide du zonard révèle une vingtaine de techniques pour se soustraire aux contrôles et « gruger la SNCF ».

Il y a quelques années, des affiches sur les panneaux des gares expliquaient que la fraude coûtait annuellement 600 millions d’euros à la SNCF. Une campagne coûteuse – alors que la Cour des comptes a épinglé l’entreprise pour avoir dépensé 13 % de ses investissements de 2010 en communication – et dont l’efficacité est difficilement mesurable. Pour les rares contrôleurs qui ont accepté de s’exprimer, la fraude dans les TGV est environ de 5 %, et celle des TER dépasse très souvent les 30 %.

Pour combattre la fraude et lutter contre les agressions, la SNCF a entrepris de mettre en place des contrôles à l’entrée sur quelques lignes de TGV. Elle envisage d’autre part de consacrer, en 2013, 170 millions d’euros pour recruter et former des agents chargés de lutter contre les incivilités perpétrées par des « bandes de jeunes » et dont des exemples récents à Grigny ou dans les TER du Sud-Est ont montré la réalité.

La RATP camoufle la fraude

A la différence de la SNCF qui, en communiquant sur la fraude appelle ses usagers à la responsabilité, la RATP (sollicitée pendant plus d’un mois avant d’accepter de répondre) a clairement fait savoir que sa direction ne souhaitait plus s’exprimer sur le sujet. A la lumière des chiffres exposés ci-après, on comprend pourquoi.

En 2011, la RATP a transporté 3,111 millions de voyageurs (3,058 en 2010 et 3,096 en 2012). Elle se glorifie d’un chiffre d’affaires de 4,983 milliards d’euros ( 4,570 en 2010 ; 5,2 en 2012) et d’un résultat net de 264 millions surtout dû à sa filiale RATP-Développement qui opère à l’international. Elle envisage d’investir chaque année en Ile-de-France 1,6 milliard d’euros. La RATP exploite le métro, les bus et tramways, les RER et Orlyval. Selon ses comptes financiers 2011, ses recettes brutes voyageurs étaient de 2,139 milliards d’euros (2,044 en 2010).

Bref, une entreprise-vitrine qui s’affiche comme saine et en progression constante. La réalité est bien différente.

2,5 milliards d’euros minimum … payés par les contribuables

Passons sur les erreurs de calcul et de présentation. Par exemple, le total des billets 2011 ne correspond pas à l’addition des items. Les forfaits ST et CST doivent être retranchés des Navigo dans le résultat des titres mensuels et hebdos mais additionnés pour atteindre le bilan final.

D’autre part, la hausse du chiffre d’affaires (+ 4,61 %) reste inférieure au multiplicateur de l’augmentation du nombre de voyageurs (+1,7 %) et de celle des tarifs (+3 %). Ce que devrait gagner la RATP est moins que ce qu’elle gagne en réalité.

Mais surtout la comparaison du nombre de voyageurs transportés et des recettes montre l’ampleur de la fraude. En juillet 2011, le coût du ticket unité était de 1,70 € celui du carnet de dix tickets de 12,50 € et pour les forfaits Navigo, par exemple en zone 1-3, le forfait mensuel coûtait 80,30 €, le forfait hebdomadaire 24,50 € et le forfait année 818,40 €.

Selon nos calculs, qui, d’une part, tiennent compte de la longueur de certains trajets, et d’autre part de la décote due au transport des enfants, des scolaires, des seniors, aux abonnements et réductions, le coût moyen d’un voyage est de 1,50 €. La RATP aurait dû engranger des recettes voyageurs de 3,111 x 1,5 = 4,666 milliards d’euros. Elle n’en a encaissé que 2,139. La différence est de 2,527 milliards d’euros soit 54 % de ses recettes.

Ce différentiel n’est pas totalement imputable à la fraude même s’il faudrait ajouter à celle-ci une partie des conséquences liées : les agressions physiques et verbales subies par les personnels, les arrêts de travail, frais d’hospitalisation et dépressions des conducteurs suite aux injures et aux caillassages, les dégradations de matériel. Ce déficit des recettes est dû aussi au fait que certains ne paient pas puisque les collectivités territoriales (c’est-à-dire les contribuables) leur financent tout ou partie du voyage. Il y a aujourd’hui environ cinq millions de ménages fiscaux imposés en Ile-de-France qui paient chacun en moyenne 500 € pour le financement du trafic voyageurs RATP.

Des contrôles impossibles ou inefficaces

On notera que la RATP dispose de plus de 2000 agents de contrôle si l’on cumule le Service Contrôle Client (SCC), les agents du groupe de protection et de sécurisation des réseaux, les équipes Contrôle Sécurisation Assistance. Ces agents opèrent par brigades de cinq personnes en moyenne, qui contrôlent par heure environ 250 personnes. Sur la base de 8 heures de travail effectif, 800 000 personnes devraient être contrôlées, c’est-à-dire près de 10 % des 8,5 millions d’usagers quotidiens de la RATP. En moyenne, chaque passager devrait donc être contrôlé une fois tous les dix jours.

Il n’en est rien. J’avais témoigné dans Immigration la fracture légale (Le Pré aux Clercs,1998) avoir effectué 144 voyages sans contrôle sur l’autobus 91 qui dessert les gares de Montparnasse, de Lyon et d’Austerlitz. Ce bus comporte trois entrées, et, en raison des vols répétés, il est appelé par certains usagers « le bus de la dépouille ». J’ai recommencé le décompte en 2008 mais arrêté après avoir dénombré 400 voyages faits sans aucun contrôle. Par ailleurs, chaque Parisien peut constater à quel point les contrôleurs sont très peu présents le matin et le soir dans des bus souvent bondés, ainsi que le week-end (sauf le samedi matin), pour éviter les incidents.

Pourtant, les avertissements foisonnent sur les panneaux lumineux défilants (« Je monte, je valide », « La non-validation est une infraction ») et sur ceux affichés à l’intérieur des véhicules expliquant que valider est « obligatoire », « indispensable » et « un geste très simple » ou  que la non-validtion du Pass Navigo vous coûte cinq euros. Ces campagnes de publicité ne rapportent qu’à ceux qui les ont conçues. Le coût des pénalités est dérisoire et la plupart des PV ne sont pas récupérés.

Qui fraude ? La RATP ne communique aucune statistique sur ce point. Comme elle ne peut plus la combattre, elle préfère la cacher. Avec un certain succès puisque les journalistes d’investigation si prompts à s’emparer des « affaires » délaissent à peu près totalement ce domaine. A quand une commission d’enquête parlementaire ou un rapport de la Cour des comptes ?

Au-delà de l’aspect financier, le problème est sociétal. En montrant que la fraude est un sport sans risques, la RATP encourage la transgression des plus jeunes, montre que la loi est un concept creux, et favorise les comportements déviants. La fraude est l’antichambre de l’insubordination.

Avec Contribuables Associés, luttez pour la réduction des dépenses publiques, car trop de dépenses publiques c'est trop d'impôts, et contre les gaspillages scandaleux d'argent public !

Publié le jeudi, 29 août 2013

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