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Retenue à la source : le point de vue d’Alain Mathieu, président d’honneur de Contribuables Associés

Écrit par Contribuables Associés

Tel qu’il est actuellement connu, le projet du gouvernement est le suivant : à partir du 1er janvier 2018 les employeurs déduiront chaque mois des salaires nets versés à leurs salariés, un impôt sur le revenu calculé à un taux qui leur sera donné, pour chaque salarié, par l’administration des impôts.

 

Ils verseront cette déduction à l’administration fiscale. Il semble qu’il en sera de même pour les « revenus de remplacement » comme les pensions de retraites ou indemnités-chômage : les caisses de retraite et Pôle emploi déduiraient des versements faits à leurs bénéficiaires, les impôts retenus à la source. Les revenus d’activité non salariaux comme les revenus des professions libérales, des commerçants ou agriculteurs ne seraient pas concernés ; ils représentent 8% des revenus constituant l’assiette de l’impôt sur le revenu. Les revenus du capital ne seraient pas non plus affectés par cette réforme (6,5% de l’assiette). Tous les revenus d’une année feront comme actuellement l’objet d’une déclaration par le contribuable. Les niches fiscales ne seront pas modifiées. Après avoir reçu la déclaration d’impôt du contribuable, l’administration fiscale lui reversera le trop-versé par l’employeur ou la (ou les) caisse(s) de retraite ou, hypothèse moins probable, lui fera verser l’insuffisance des versements.

Les impôts sur les salaires et revenus de remplacement de 2018 seront donc perçus par le fisc tout au long de l’année 2018. Les impôts sur les revenus de 2017 devraient en principe être versés aussi en 2018. Pour éviter cette double imposition affectant les contribuables en 2018, il a été décidé que les salaires et revenus de remplacement de l’année 2017 ne seraient pas imposés, l’année 2017 étant donc une « année blanche ».

Ce projet soulève plusieurs questions :

– Comment l’administration calculera-t-elle le taux d’impôt de chaque contribuable qu’elle indiquera à l’employeur ? Le gouvernement doit fournir une première réponse au mois de mars, la réponse définitive étant dans la loi de finances pour 2017, connue à la fin de 2016. Il est vraisemblable que le mode de calcul sera tel que l’administration percevra de l’employeur plus que le montant finalement dû par les contribuables. Il serait souhaitable que cet excédent de versement soit modéré. Sinon les contribuables pourraient s’insurger contre l’augmentation, au moins temporaire de leurs impôts qu’ils constateront à partir du 1er janvier 2018. Les contribuables auront-ils leur mot à dire au cas où leur taux calculé par l’administration serait erroné ? En outre les syndicats soulignent que l’indication de ce taux fourni par l’administration à l’employeur est une information sur les autres revenus du salarié – ceux de son capital par exemple ou ceux de son conjoint -, ou sur sa situation matrimoniale ou familiale, susceptible de mettre celui-ci en position difficile vis-à-vis de son employeur. De même si le salarié travaille pour plusieurs employeurs.

– Un travail supplémentaire sera demandé aux employeurs, qui ont déjà à déclarer les revenus aux URSSAF et doivent leur verser les cotisations sociales. Il serait évidemment souhaitable, mais cela est peu probable, que les définitions des salaires soient les mêmes pour le fisc et pour l’URSSAF. Déjà les définitions ne sont pas les mêmes pour la CSG et la CRDS : les allocations familiales et les allocations logement sont des revenus pour la seconde mais pas pour la première. Il est peu probable que le travail supplémentaire fourni par les employeurs soit rémunéré par le fisc. Il pourrait toutefois être simplifié si la déclaration adressée au fisc était la même que la déclaration unique des salaires que les employeurs doivent adresser à l’URSSAF depuis le 1er janvier 2016.

– Les jeunes arrivant sur le marché du travail ont actuellement une année sans impôts, puisque leur déclaration des revenus et le paiement des impôts se font l’année suivante. Ils devront à partir de 2018 verser leurs impôts dès leur première année de travail.

– L’« année blanche » sera réservée aux salaires et revenus de remplacement. Cet avantage ne constituera-t-il pas une inégalité de traitement, contestable sur le plan constitutionnel, dont pâtiraient les autres revenus ?

– L’administration pourra-t-elle et voudra-t-elle éviter que l’« année blanche » de 2017 soit mise à profit par les employeurs et salariés pour verser en 2017 des salaires supplémentaires non imposés, quitte à réduire les revenus imposables versés en 2016 ou 2018 ? De même les niches fiscales utilisables sur les revenus de 2017, devenues sans intérêt fiscal, seront sans doute réduites par les contribuables et reportées sur 2016 ou 2018. L’administration annonce des « garde-fous ». Elle aura sans doute à chasser un grand nombre de fous ! Quels que soient ces « garde-fous », il lui sera bien difficile de contrôler que des primes de fin d’année 2016 soient majorées et encaissées au début de 2017, et presqu’impossible d’éviter que soient avancés à la fin de 2016 des dons et autres niches fiscales qui auraient été faits en 2017. Ainsi les dépenses de la fin de l’année 2016 et les revenus du début de 2017 seront-ils artificiellement augmentés, alors que les impôts déclarés et versés au début de 2017 seront minorés. Les éventuels contrôles et rectifications de l’administration n’auraient lieu qu’après les élections présidentielles et législatives de mai et juin 2017.

Ainsi, cette pseudo « réforme » ne simplifiera-t-elle pas le travail des contribuables et de leurs employeurs. Du point de vue du gouvernement, elle présente deux avantages considérables : elle créera une euphorie économique passagère à la fin de 2016 et au début de 2017 (plus de dépenses, plus de revenus, moins de déclarations et de versements d’impôts), favorable au pouvoir socialiste juste avant les élections de 2017 ; en 2016 elle va agiter la presse sur des questions mineures et la détourner des vrais problèmes du pays : comment réduire les dépenses publiques et les impôts ?

Publié le vendredi, 22 janvier 2016